C'est par procuration que Kirill Serebrennikov, l'"enfant terrible" du théùtre russe assignĂ© Ă rĂ©sidence, a montĂ© mercredi soir les marches du 71e Festival de Cannes pour la projection de son film "Leto" L'Ă©tĂ©, en lice pour la Palme d'or, avant d'ĂȘtre longuement applaudi. Producteurs et acteurs de ce long-mĂ©trage retraçant le parcours d'une lĂ©gende du rock soviĂ©tique, Viktor TsoĂŻ, ont foulĂ© le prestigieux tapis rouge peu avant 20H00 GMT, en arborant un badge avec la photo du rĂ©alisateur. Ils ont ensuite brandi en haut des marches une pancarte blanche oĂč Ă©tait inscrit en noir le nom de Kirill Serebrennikov. Ils l'ont montrĂ©e aussi dans la salle, oĂč le public, debout, les a accueillis avec des applaudissements nourris. Un siĂšge, restĂ© vide, portait le nom du rĂ©alisateur. "Je t'aime, je t'aime tellement, si seulement tu Ă©tais lĂ avec nous", a dĂ©clarĂ© aux camĂ©ras l'actrice Irina Starshenbaum avant de monter les marches, dans un message adressĂ© au cinĂ©aste. "Leto" Ă©tait l'un des deux films projetĂ©s en compĂ©tition ce mercredi en Cannes, avec "Yomeddine", premier film de l'Egyptien Shawky. "Cannes a toujours Ă©tĂ© un lieu de libertĂ©, de libertĂ© de crĂ©ation, de libertĂ© de prĂ©sence des artistes", avait soulignĂ© le dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral du Festival, Thierry FrĂ©maux, en annonçant mi-avril la sĂ©lection en compĂ©tition, pour la premiĂšre fois, du metteur en scĂšne et cinĂ©aste russe de 48 ans, mais aussi de l'Iranien Jafar Panahi, Ă©galement interdit de voyager par TĂ©hĂ©ran. Directeur artistique du Centre Gogol, un théùtre contemporain moscovite rĂ©putĂ©, M. Serebrennikov avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© par la police en plein tournage de "Leto", dont les chansons ont Ă©tĂ© la bande-son de la perestroĂŻka, Ă la fin des annĂ©es 1980. Le montage avait Ă©tĂ© achevĂ© au domicile du cinĂ©aste. Le cinĂ©aste Ă©tait dĂ©jĂ venu Ă Cannes en 2016 pour dĂ©fendre son film "Le Disciple", retenu dans la section Un Certain regard et rĂ©compensĂ© par le Prix François Chalais. Intelligentsia moscovite Les espoirs des organisateurs de voir Serebrennikov revenir en France ont fait long feu un tribunal russe vient de prolonger son assignation jusqu'au 19 juillet. L'"enfant terrible" du théùtre russe est visĂ© par une affaire de dĂ©tournement de fonds publics qu'il dĂ©nonce comme "absurde". AssignĂ© Ă rĂ©sidence dans l'attente de son procĂšs, il a reçu le soutien de nombreuses personnalitĂ©s artistiques russes et Ă©trangĂšres. Mardi, jour de l'ouverture du Festival de Cannes, la ministre française de la Culture a ainsi gravi les marches en compagnie des producteurs du film. "Nous ne pouvons que manifester notre opprobre forte par rapport Ă cette situation, et notre inquiĂ©tude", a expliquĂ© Ă l'AFP Françoise Nyssen, en rĂ©fĂ©rence aux situations de MM. Serebrennikov et Panahi, dont le film sera projetĂ© samedi. Sans s'opposer ouvertement au prĂ©sident Vladimir Poutine, Serebrennikov avait plusieurs fois critiquĂ© les pressions croissantes exercĂ©es sur la crĂ©ation artistique, motivĂ©es par la dĂ©fense de valeurs conservatrices. Ses oeuvres avant-gardistes, qui ont rĂ©volutionnĂ© la scĂšne théùtrale moscovite en abordant des thĂšmes comme la politique, la religion ou la sexualitĂ©, ont Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement critiquĂ©es par les militants orthodoxes ou les autoritĂ©s. Il s'est fait connaĂźtre au dĂ©but des annĂ©es 2000 en transformant un théùtre d'Etat, alors en faillite, en une des scĂšnes les plus courues de Moscou. Connu dĂ©sormais sous le nom du Centre Gogol, le lieu devient vite un QG de l'intelligentsia moscovite. Les piĂšces qu'il y accueille provoquent la colĂšre des milieux conservateurs. Beaucoup lui reprochent d'user trop frĂ©quemment de la nuditĂ© et d'injures sur scĂšne, et de se livrer Ă des adaptations trop personnelles des classiques russes. La goutte d'eau de trop pourrait avoir Ă©tĂ© l'annonce d'un ballet dirigĂ© par M. Serebrennikov au cĂ©lĂšbre théùtre du BolchoĂŻ sur le lĂ©gendaire danseur et chorĂ©graphe Rudolf Noureev. Porte-voix des milieux conservateurs, le cinĂ©aste Nikita Mikhalkov avait appelĂ© Ă interdire ce spectacle. Qualifiant de "terrible" la "situation" de MM. Serebrennikov et Panahi, la prĂ©sidente du jury cannois, l'Australienne Cate Blanchett, a toutefois assurĂ© mardi que leurs films seront, comme les autres, jugĂ©s sur leur seule qualitĂ© artistique "Ce n'est pas un Prix Nobel, c'est la Palme d'or..." oc-all-alu-slb/pg 09/05/2018 233929 - Cannes AFP - © 2018 AFP
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